Article du Monde, propos recueillis par David Larousserie et Audrey Garric, publié le 20 mai 2024
Face à l’essor des réseaux sociaux, de la crise environnementale et à l’arrivée de jeunes chercheurs plus critiques que leurs aînés, le besoin de préciser les divers modes d’expression des scientifiques dans l’espace public était devenu indispensable, explique la chercheuse et juriste.
Christine Noiville, directrice de recherche au CNRS à l’Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne, est juriste et présidente du comité d’éthique du CNRS, le Comets. En 2023, cette instance rendait un avis sur les divers modes d’expression des scientifiques dans l’espace public, « Entre liberté et responsabilité : l’engagement public des chercheurs et chercheuses ».
"Les scientifiques sont engagés de longue date, pour ou contre les OGM, le nucléaire, la procréation médicalement assistée… Mais nous avons constaté un renouvellement de cette grande tradition, sur trois aspects au moins. D’abord, la médiatisation a changé d’échelle. La réalité des médias et des réseaux sociaux fait que l’on entend de plus en plus de chercheurs. Le débat scientifique, y compris entre pairs, se tient de plus en plus sur les réseaux sociaux, mais dans des conditions qui posent parfois question.
Le deuxième élément, c’est évidemment la crise environnementale. De plus en plus de chercheurs se demandent comment continuer dans leur labo à produire de la connaissance dans ce contexte. Ils constatent que le monde s’effondre et se disent qu’il faut quand même essayer d’agir pour l’empêcher.
Enfin, les jeunes changent la donne. Ils maîtrisent les réseaux sociaux, sont très sensibles aux questions d’environnement ou de droits humains et surtout n’ont pas une vision de la science cantonnée à la production de connaissances, comme la plupart de leurs aînés. Ils sont beaucoup plus critiques sur les applications de la science, ou sur sa prétendue « neutralité ». Globalement, on pourrait dire qu’ils ont un sens des responsabilités plus aiguisé."