Article de Challenges de Christian Gollier le 19 décembre 2023
Absence de sélection à l’entrée, mode de financement, gestion… L’université française est en crise. Les jeunes fuient de plus en plus les facultés pour l’étranger ou des formations privées. Et le manque de moyens n’explique pas tout selon Christian Gollier, directeur général de Toulouse School of Economics, Collège de France.
"Au sein de la myriade d’investissements publics et privés, l’investissement dans l’éducation, s’il met bien en adéquation le niveau des formations aux besoins et aux possibilités des étudiants, est le plus rentable. Mais le cas des universités françaises est problématique. La massification des formations, le dogme de leur gratuité et de la non-sélection des bacheliers et la concurrence grandissante des grandes écoles et des universités étrangères sont autant de facteurs qui ont enfoncé nos facultés dans une crise permanente. La dépense publique par étudiant a chuté de 12 000 à 10 270 euros entre 2013 et 2021. Dans la plupart des universités, le service est très loin du standard international.
Le manque de moyens n’explique pas tout. Nos facultés restent essentiellement autogérées. Leurs présidents y sont élus par leurs pairs (avec les étudiants et le personnel administratif), ce qui crée un fort biais en faveur du statu quo et de « l’à-quoi-bonisme ».
L’élite scientifique, souvent très minoritaire, n’a pratiquement jamais eu voix au chapitre. Par expérience de ses échecs passés, celle-ci a depuis longtemps abandonné l’idée de livrer bataille et s’est souvent réfugiée dans des laboratoires hors de portée des soubresauts de la politique universitaire locale.
Le mode de financement public des établissements reste aussi fondé sur un principe de capitation, c’est-à-dire proportionnel au nombre d’étudiants inscrits. Les incitations à la qualité restent donc marginales, malgré les efforts du ministère.
Les jeunes talentueux et informés fuient de plus en plus nos universités, pour souvent étudier à l’étranger. Le « tout-sauf-l’université » conduit de plus en plus de jeunes à préférer des bachelors du secteur privé, en forte progression malgré leur piètre qualité moyenne et leurs droits d’inscription élevés. Au moins y trouvent-ils des salles de cours et des services à la hauteur de leur sacrifice financier.
L’université française (hors IUT) a perdu 26 300 étudiants à la rentrée 2023 - lien externe. Sommes-nous condamnés au déclin scientifique et académique de notre pays ?
Mais le cœur de l’attractivité d’une institution académique se trouve dans l’excellence de son équipe scientifique. La France est‑elle attractive dans cette dimension clé de sa prospérité future ? Un maître de conférences, premier grade après la thèse (bac + 9 au minimum), dispose d’un salaire net annuel de 24 000 euros.
En sciences économiques, la plupart des universités anglo-saxonnes recrutent à un niveau au moins 3 ou 4 fois supérieur, et les meilleurs jeunes chercheurs, ceux qui trouvent, sont recrutés à des salaires pratiquement dix fois supérieurs. Je le regrette, mais c’est la réalité
La capacité de ces universités à financer ce capital humain provient des droits d’inscription à la hauteur de ce que ces chercheurs exceptionnels sont capables d’offrir comme compétences à leurs étudiants. Un cercle vertueux, au moins pour ces dirigeants universitaires, se dessine donc, où l’excellence des formations permet d’accroître les droits d’inscriptions, qui permettent d’attirer les meilleurs enseignants, qui permet d’accroître l’excellence.
Le barème salarial académique, commun à toutes les disciplines et toutes les universités françaises, limite singulièrement notre capacité à faire émerger en France des champions à même d’offrir une réponse adaptée à la nouvelle donne académique internationale, où la France a décidé de jouer perdant. Est-ce par dogmatisme ou par peur de réveiller le dragon estudiantin endormi, Mai-68 restant une névrose nationale pour de longues décennies encore ?
La stratégie du ministère de l’Enseignement supérieur ces dernières années a été de conditionner de nouveaux moyens à des efforts en faveur de l’excellence scientifique. Cette stratégie ne peut porter ses fruits que sur le long terme. Elle nécessite aussi la reconnaissance de la diversité des ambitions, entre compétition internationale pour de grandes universités de recherche, et ambition de formations de qualité à ancrage local pour d’autres.
La France a besoin d’universités diverses, répondant à des demandes sociales et économiques de nature très différentes. Notre renaissance universitaire suppose moins de contraintes et plus d’incitations et de liberté entrepreneuriale pour les faire éclore."
Lire l'article en entier - lien externe