Intervention de Sébastien Soriano - lien externe (Directeur Général de l'IGN), animée par Delphine Boudet (Accompagnatrice pour et à la Conviviance)
Sébastien Soriano revient sur son parcours et son expérience à l'ARCEP - lien externe. Il aborde la question de la définition des communs à donner. Ce qui l'intéresse, c'est "la notion de co-action, où des individus dispersés se regroupent en communautés dans un but commun et dans une logique d'action."
Il fait référence à son expérience au sein de l'IGN - lien externe, qui compte 1400 agents, tandis qu'OpenStreetMap France regroupe 10 000 volontaires. Il se demande comment faire face à cela. Faut-il arrêter ? Les militants en ont besoin et ne sont pas d'accord. Les questions de souveraineté sont évidentes, donc il est nécessaire de rester, mais pour quelles missions ? L'objectif est de répondre aux grands défis du moment, comme la cartographie de l'anthropocène, avec deux enjeux :
- Accélérer, être capable de produire des cartographies rapides. Cela pose des enjeux technologiques majeurs (IA, données satellitaires, croisement de sources...). Par exemple, la carte de la "zéro artificialisation" - lien externe qui permet à l'État de dialoguer avec les territoires.
- Travailler ensemble. Le topographe ne peut plus se contenter de décrire de manière générique le territoire, il est important de montrer son évolution. Pour cela, il est nécessaire de travailler avec d'autres professions.
La Fabrique des Géocommuns
Une présentation est faite de la Fabrique des Géocommuns - lien externe, un incubateur de communs. L'ambition est de réunir des acteurs pour résoudre ensemble un problème pré-identifié. Il présente certains communs actuellement hébergés (parmi d'autres) :
- Base Adresse Nationale - lien externe, une agrégation des bases d'adresses locales gérées par les communes, créée par l'ANCT - lien externe. La contribution de l'IGN n'est pas de créer des adresses, mais d'être un agrégateur qui permet d'avoir une base de données. C'est important car cela permet également à d'autres acteurs de l'écosystème numérique de l'utiliser.
- Panoramax - lien externe, un commun de vues immersives. Cette initiative existait déjà et a été rachetée par Meta, ce qui a entraîné une perte de garantie en termes d'indépendance et d'ouverture. Il fallait donc créer une dynamique permettant à tous les acteurs de contribuer à un commun de vues immersives (comme Google Street View, qui est une donnée fermée). 30 000 km de voirie ont été téléversés, et la première solution de floutage des visages est opérationnelle. Des briques complémentaires sont en cours de développement, notamment la reconnaissance automatique des panneaux.
Sébastien Soriano explique les process pour faire fonctionner cela. Il y a de l'intrapreneuriat, de la recherche. Une consultation publique est réalisée, avec la garantie de la communauté d'OpenStreetMap qui était déjà impliquée. Il y a une volonté de formaliser une sorte d'appel à partenaires. Au départ, ce qu'il faut incuber, ce sont des services, des fonctionnalités informatiques. Il est nécessaire de créer un petit cercle pour cela, en lançant un appel à partenaires. Il faut rechercher des boucles de rétroaction qui fonctionnent. Les communes sont intéressées par les vues immersives pour diverses fonctions. Il est nécessaire de proposer un cadre multi-usage et confortable. Dans Google Street View, il n'est pas possible de mettre ses propres images. L'objectif est d'avoir une boucle un peu autonome, si le commun est performant, afin de ne pas entrer dans des logiques de rétribution.
Quelle place prend l'IGN dans la gouvernance d'un commun en contrepartie de son rôle ?
Sébastien Soriano trouve que la mise en place de règles, d'audits et de gouvernances peut le paralyser. Il reconnaît l'importance des garde-fous, etc., mais il ne se précipite pas sur cette question. La gouvernance qu'ils ont adoptée à l'IGN est celle d'un comité d'investissement qui se réunit régulièrement avec les différents financeurs, puis une méthode de production (l'équipe en charge est autonome vis-à-vis de ses utilisateurs). En termes de gestion, il décide de continuer à financer ou non, mais il ne leur dicte pas ce qu'ils doivent faire. "Je crois en une autorité qui est autorisée". Dans le cas de l'IGN, une administration avec son histoire et ses statuts, Sébastien Soriano explique qu'ils ont poussé le curseur plus loin. La stratégie (la démarche des géocommuns) s'est traduite par différents outils internes. L'intrapreneur, bien que nécessitant l'accord de son chef, est fortement encouragé par son propre chef. Selon lui, "le plus difficile dans une entreprise avec une culture d'ingénieur est plutôt la question de l'échec et de l'avancée incrémentale. L'ingénieur à la française aime créer des cathédrales : avoir un grand plan pour tout. Dans les communs, il faut y aller petit à petit et accepter de se tromper. Nous avons effectué une réforme du temps de travail, avec le principe selon lequel chaque agent peut consacrer 5 jours de travail par an à une cause, y compris les communs."
Rapport au citoyen ?
Pour Sébastien Soriano, il y a un choix de ne pas aller vers le citoyen. Dans la posture de l'État qui se tourne vers les communs, il faut faire preuve de prudence : si les gens sont là en tant que "commoners", c'est parce qu'ils ont fait ce choix, c'est un mode d'engagement qui leur parle. Ils ont envie de travailler pour le commun, pas pour l'État. Selon lui, il est préférable de travailler avec les intermédiaires qui savent créer des communautés, et de leur laisser la responsabilité de le faire.
Comment est-ce qu'on fait ensemble en étant agile ?
Pour Sébastien Soriano, la manière dont l'État a été pensé a une histoire. Dans les années 90, il a fallu réduire la taille de l'État (en Europe, au niveau des collectivités locales...) ce qui a conduit à l'émergence du New Public Management. Les hauts fonctionnaires distribuent leurs ordres à des acteurs censés les mettre en œuvre (contrats d'objectifs, contrats de plan, tarification à l'activité...). Pour lui, ce modèle est un échec car il a séparé la stratégie de l'exécution, alors qu'il est nécessaire de les réunir. L'État "stratège" évolue vers une action publique "en réseau" avec des communautés d'acteurs mobilisés autour d'un objectif commun.
Comment cela se traduit-il spécifiquement dans les transitions ? Selon lui, il est nécessaire de mettre en place une méthode, car il en a assez de voir les décideurs publics revenir toujours avec les mêmes solutions (numéro vert, chèque truc, lois...) qui ne fonctionnent pas. Chaque fois que l'on souhaite simplifier, on recrée une bureaucratie de simplification et on lance de nouveaux appels à projets, ce qui met les gens en concurrence. Il souhaite que l'on propose collectivement une méthode.