Article du blog de Jean-Michel Catin, "Universités 2024", un blog pour réfléchir sereinement sur l'Université française de demain, publié le 18 septembre 2024. Jean-Michel Catin a été directeur de la rédaction Enseignement-Recherche d’AEF pendant 13 ans. À ce titre, il a suivi les changements majeurs de l’ESR français, de la création de l’ANR et de l’Aeres aux différentes étapes du PIA, en passant par la LRU.
"Après avoir pointé l’indifférence des universitaires à propos de la baisse des effectifs, après avoir souligné l’absence de réflexion collective sur les formations proposées aux jeunes, je reviens cette semaine sur une question essentielle : pourquoi les universitaires échouent-ils à se faire entendre ? L’explication trop simple des élites déconnectées de la recherche ne peut masquer leur propre responsabilité de ne pas avoir su convaincre. Car il s’agit d’un échec collectif : ils/elles pèsent peu, sans cesse absorbés par des querelles internes.
J’y vois un symbole fort : alors que traditionnellement les universités françaises incarnaient à quelques exceptions près le lien avec la ‘gauche’ et le monde syndical, c’est à la rentrée solennelle de l’EM Lyon que l’ancien dirigeant de la CFDT Laurent Berger a participé… Cela illustre la perte d’influence des universités, à l’image de ce que j’avais relevé à propos de l’université d’été de Libé à Paris-I. Pourquoi depuis des décennies en particulier, le monde académique, en particulier les universitaires, peine-t-il de plus en plus à se faire entendre ? Il ne s’agit pas seulement de l’ESR mais aussi et peut-être surtout de son influence dans l’État.
Jouer contre son camp : le sport favori
Se plaindre, déplorer, agir individuellement et fuir le collectif, déprécier son institution semblent être des figures imposées. Le classement de Shanghai - lien externe en est la parfaite illustration. Non seulement je ne retire rien à ce que j’écrivais en août 2022 sur les réactions au classement de Shanghai mais j’y ajoute une remarque d’actualité. La capacité de certains universitaires, y compris de certains présidents d’universités, à jouer contre leur camp est incroyable. En effet, alors que les interrogations se multiplient sur la qualité d’une partie de l’enseignement supérieur privé, que trouvent-ils/elles de mieux à faire ? S’en prendre … aux universités ! Imagine-t-on un autre corps social, une autre corporation ou institution se dénigrer ainsi ? Les villes en haut de l’affiche dans des classements “bidon” par exemple ? Alors même que ce classement devrait justement être l’occasion de clamer haut et fort que l’excellence et la qualité sont dans les universités ! Et de s’en servir face aux pouvoirs publics.
La prépondérance de la fonction tribunitienne
Pour approfondir cette réflexion, il me semble intéressant de revenir sur 2 articles parus dans la revue Esprit - lien externe. L’un de Christophe Prochasson, ancien conseiller ESR de F. Hollande et ancien président de l’EHESS sur “l’auto-administration des universités”, et une interview de P. Weil sur les universitaires et le pouvoir. Ce dernier, autre figure de la gauche universitaire, observe que “les universitaires ont une place importante dans le débat public en France. Il n’y a pas un jour sans tribune, pétition, intervention radiotélévisée. (…) Mais, en France, l’universitaire a une fonction tribunitienne et reste éloigné du pouvoir. Aux États-Unis, il participe au pouvoir, qu’il soit écouté, consulté ou simplement lu.” Au fond, les universitaires français n’ont effectivement pas les mains sales : ils/elles n’ont pas de mains… En dehors des économistes, présents dans les sphères dirigeantes, on a vu pour le nucléaire (comme l’a savoureusement rappelé Yves Bréchet), ou encore sur l’environnement la faible place prise par la science et les scientifiques au profit des militants.
Bien sûr, le poids historique des Grands corps est une réalité. Bien sûr des universitaires sont ou ont été présents dans les partis politiques. Mais globalement le monde scientifique français n’a pas investi collectivement les lieux de pouvoir pour faire connaître ses travaux, miné par ses querelles et attiré par la course en solitaire.
Le dédain pour l’intendance
Ce soin apporté à rester éloigné du pouvoir, quel qu’il soit, on le retrouve évidemment à propos de l’autonomie des universités, que Ch. Prochasson préfère d’ailleurs appeler l’auto-administration. Que nous dit-il (ce sont mes intertitres) ? Des universitaires…ignorants. Il pointe la méconnaissance abyssale qu’ont les universitaires du fonctionnement de leurs institutions. Si son propos est sans doute très ‘EHESS’ et très parisien dans certains constats, il vise juste : “Il faut beaucoup d’arrogance, pour ne pas dire de suffisance, à un universitaire pour se flatter d’avoir évité de telles charges [administratives] tout au long de sa vie professionnelle.” S’il relève “le mépris sous-jacent à de telles postures, abandonnant à d’autres les tâches indignes”, il souligne à juste titre qu’“un tel évitement rend tout simplement irrecevable l’exigence de toute autonomie universitaire, puisqu’elle conduit à remettre aux mains des tutelles la gestion des universités qu’elles abondent financièrement et qu’elles soutiennent politiquement.”
Cette psychologie collective propre à ces communautés est un peu une parabole de l’universitaire français : il se plaint de l’État qui ne finance pas suffisamment, mais ne s’y investit pas pour faire reconnaître partout la science (sauf pour ses intérêts particuliers 🙂), il se désengage de son établissement mais se plaint des maux administratifs.
Des universitaires phobiques.
Christophe Prochasson souligne la “faiblesse de la formation administrative des équipes dirigeantes et, plus encore, le manque d’intérêt – pour ne pas dire l’hostilité – éprouvé, non sans quelques raisons, pour ‘l’administration’, considérée comme un ennemi ou un adversaire, expliquent, pour une bonne part, les dysfonctionnements que nombre d’observateurs ou d’usagers se plaisent à souligner."
Des universitaires peu crédibles
Mais Christophe Prochasson appuie là où cela fait mal : “L’indocilité du monde universitaire, les habitus qu’il produit, son coût financier tout à la fois mal contrôlé et mal évalué, son amateurisme et ses dysfonctionnements administratifs sont l’objet, pour le moins d’incompréhension ou de perplexité, parfois même de quolibets émanant d’une haute fonction publique convaincue de la justesse de son évaluation. Les universitaires eux-mêmes ne sont d’ailleurs pas exempts de ces mêmes comportements railleurs, retournés contre leur propre milieu où l’individualisme est de règle.”
C’est un bon résumé : le monde académique ne se rend pas compte de l’image donnée, ou en tout cas perçue par la société.
Une confiance à construire
“Nous devons rétablir un certain nombre de vérités », explique à juste titre Guillaume Gellé, président de France Universités dans Le Monde . “Je veux tirer un signal d’alarme. Les universités sont au bout de ce qu’elles ont pu absorber. Elles ont besoin d’un nouveau souffle, et que l’État finance les mesures qu’il prend. Le décideur doit être le payeur”, explique-t-il.
Mais ce nouveau souffle peut-il être simplement financier ? Est-ce vrai pour les universités qui ont perdu en 10 ans près de 30% de leurs effectifs (mais gardé leurs moyens) ? Est-ce vrai complètement pour les universités qui ont dû, à l’inverse, faire face à des hausses de 30 à 40% avec une diversité de publics qui les contraint à changer de modèle ? La transparence est un impératif catégorique."