Francesco Brancaccio
Chercheur-doctorant en Sciences de l’information et de la communication.
Le groupe de travail "politiques des communs numériques - lien externe" du Centre Internet et Société a accueilli Carlo Vercellone et Francesco Brancaccio pour la présentation de leur ouvrage "Le commun comme mode de production - lien externe", co-écrit avec Alfonso Guiliani.
Chercheur-doctorant en Sciences de l’information et de la communication.
Économiste et membre du Centre d’économie de la Sorbonne (CES-CNRS 8174)
Économiste, professeur des universités à l’UFR « Culture et communication », Université de Paris 8.
Dans un premier temps, les auteurs nous expliquent comment cet ouvrage a vu le jour. La crise du Fordisme et la notion de capitalisme cognitif1, nouvelle phase de l'économie apparue dans les années 1990, basée sur la production et l'accumulation de la connaissance, sont le point de départ de la réflexion sur le commun comme mode de production.
Ce livre est le résultat d'une co-recherche, d'une recherche-action et d'expérimentations. Il fait suite à un premier ouvrage publié en Italie, mais cette version présentée est élargie, refondue et prend en compte la crise sanitaire du Covid et la crise économique.
"La méthode marxienne de l'éco-politique2 structure cet ouvrage". Comme le souligne Carlo Vercellone, "la démarche s'apparente à de l'holisme dynamique", une doctrine qui consiste à considérer les phénomènes comme des totalités en s'intéressant à leur évolution dans le temps.
Les auteurs s'interrogent sur le duo public et privé. Pour eux, dans les débats, dans les alternatives au néolibéralisme proposées, "il y a un arbitrage entre plus de marché et/ou plus d'État, le débat se fait donc en termes bipolaires. L'interprétation est différente pour les communs, ils peuvent se décliner au pluriel et ce sont des amendements plutôt qu'une réelle alternative".
Carlo Vercellone pose ainsi la question suivante : "comment les communs peuvent devenir hégémoniques?"
1Capitalisme cognitif et fin de l'économie politique - lien externe - Sur le livre édité par Carlo Vercellone : "Sommes-nous sortis du capitalisme industriel ?" Antonio Negri, 2003
2 L'Économie politique marxiste - lien externe
Ensuite, les auteurs reviennent sur Dardot et Laval1, pour qui "les communs sont un principe politique et juridique, et non un mode de production entre le capital et le travail. Le travail est complètement dominé par le capital, et il n'existe aucun sujet collectif préexistant susceptible de poser les bases du commun".
Ils voient une double contradiction. D'une part, une vision idéaliste et normative, une certaine utopie. D'autre part, pour eux, il est impossible de saisir les conditions sociales des acteurs de la production. "Il est difficile de penser que les communs pourraient devenir dominants sans un système politique et social".
1Commun, Essai sur la révolution au XXIe siècle - lien externe, par Pierre Dardot, Christian Laval, 2015
2Karl Polanyi : une vision humaniste de l’économie - lien externe par Pierre Grelley, 2019
Carlo Vercellone parle d'une vision positive du commun. "Les fondements ontologiques des communs ne sont pas dans la nature intrinsèque du bien, mais ils s'enracinent dans l'auto-organisation et l'intelligence collective. Ce n'est pas une réaction de la société au sens de Polanyi2, mais aussi le produit de mouvements offensifs émergeant depuis la crise sociale".
La dynamique du commun permet même d'envisager une communalisation du public, c'est-à-dire la possibilité de transformer de l'intérieur les règles de gestion, les collectivités, l'administration publique selon les principes démocratiques du commun (comme en Italie avec la réforme des institutions). "Il faut penser les communs comme un véritable système économique et social propre, qui porte les conflits et une force productive". C'est un système organique, avec un principe dominant qui régit la production et ses finalités. C'est un mode spécifique de développement des forces productives avec des règles cohérentes de distribution de la richesse sociale. L'idée est de démontrer la pertinence du commun comme mode de production.
Pour les auteurs, l'autogouvernance de la production et de la société, et l'autogestion de l'organisation du travail doivent être encouragées. "Il faut aller vers des mécanismes sociaux autres que la rentabilité financière, et vers un rapport plus équilibré entre l'humanité et la nature. La finalité est la reproduction sociale. Cette perspective a un avantage par rapport à la décroissance. L'objectif est de construire une économie sociale et écologique de la connaissance, fondée sur le non-marchand et l'humain pour l'humain. Il faut repenser les progrès techniques et arbitrer de ce qui doit croître et de ce qui doit décroître sur une perspective écologique".
Les auteurs abordent ensuite les notions de communs, de biens communs et de propriété commune. Les communs sont des expressions concrètes qui décrivent des principes généraux d'organisation de la production. Les biens communs sont un ensemble de biens et de ressources produits et générés indépendamment de leurs caractéristiques. La propriété commune désigne des rapports sociaux de production ou de propriété qui incluent la mutualisation des ressources, ainsi que d'autres formes telles que la Creative Commons et le copyleft (autorisation donnée par l'auteur d'un travail soumis au droit d'auteur d'utiliser, d'étudier, de modifier et de diffuser son œuvre, dans la mesure où cette même autorisation reste préservée1).
Pour eux, "les modèles démocratiques non propriétaires permettent l'innovation technique et sociale". Il est nécessaire d'interdire une hiérarchie fondée sur la propriété exclusive en entreprise, de favoriser la coopération horizontale et la mobilisation des collaborateurs. "Le logiciel libre est un groupe d'équité, qui permet une grande possibilité d'innovation. L'efficacité est souvent supérieure à celle des logiciels propriétaires".
Le commun doit également pouvoir s'appuyer sur la validation de mécanismes. Cependant, cette problématique est délicate et complexe, car les mécanismes sont incomplets. "Il n'existe aucune forme institutionnelle de valorisation et de rémunération du travail, qui est souvent gratuit". On constate une absence de temps disponible dont souffrent la plupart des commoneurs, les travailleurs du commun. Pour les communs il est nécessaire de rechercher des financements du secteur public et privé, mais ce qui entraîne un risque de croissance et de pillage, ainsi qu'une perte d'autonomie.
Les auteurs concluent leur ouvrage sur deux aspects importants. D'abord, ils reprennent la proposition d'un revenu social garanti, un revenu primaire provenant de la production et non de la redistribution. Ils soutiennent que "le travail créateur de non-marchand doit être rémunéré, ce qui permettrait de remettre en cause deux dogmes : le capitalisme travail/emploi et travail/salarié".
Ensuite, ils reviennent sur la notion de communalisation du public. Selon eux, "la critique de l'économie publique ne peut être dissociée de la critique de l'État". Sur cette base, l'aspect juridique apparaît comme une dimension ouverte. "Il ne s'agit pas d'une conception normativiste du droit, abstraite ou dogmatique du marxisme. Le droit n'est pas une superstructure juridique, mais représente un aspect qui doit être analysé. En effet, la révolution des communs entraîne un pluralisme juridique, incluant les licences, la propriété intellectuelle, la réciprocité renforcée, etc".
Cette thèse sur les communs en tant que mode de production n'est pas sans rappeler le concept de P2P (peer to peer) comme mode de production proposé par Michel Bauwens et Vasilis Kostakis dans leur “Manifeste pour une véritable économie collaborative”1 (2017). L'idée est “de faire des communs une institution centrale qui guide toutes les autres formes sociales vers le maximum de bien collectif et d'autonomie”. Les savoirs de chaque participant sont mis en commun et “dans ces systèmes ouverts, il y a de nombreuses autres raisons de contribuer que la rémunération monétaire”. Ils rappellent également que certains chercheurs comme Moore et Karatzogianni2 (2009) parlent de "production passionnée" : le désir de créer quelque chose qui soit directement utile à ceux qui contribuent.
1. Manifeste pour une véritable économie collaborative - lien externe, Michel Bauwens et Vasilis Kostakis
2. Parallel visions of peer production - lien externe, Phoebe Moore and Athina Karatzogianni
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