Article Voyages Responsable par TourMag, rédigé par Juliette Pic le Mercredi 19 Avril 2023
Comment proposer des prestations de tourisme de manière professionnelle sans en faire son activité principale ? C’est le défi qu’ont relevé les Oiseaux de passage, ouvrant la voie à de nouvelles formes de tourisme.
"Faire de l’hospitalité sans être hôtelier, faire des séjours sans être agence de voyage, accueillir les voyageurs qui ne sont pas tous touristes… C’est un peu tout ça, Hôtel du Nord et sa plateforme les Oiseaux de Passage. Installée dans les quartiers nord de Marseille depuis 2011, la coopérative Hôtel du Nord rassemble des habitants autour de la notion d’accueil de voyageur.
Voyageurs, c’est une notion large qui regroupe tous ceux qui vont et qui viennent. Ils peuvent être touristes, certes, mais aussi étudiants, travailleurs en déplacement, saisonnier, accompagnant ou soutien de famille… Tous sont un peu des touristes. Ils ont, tous, envie de profiter de leur séjour pour visiter les lieux, connaître le patrimoine, peut-être aller au musée, au restaurant, et faire des photos pour Instagram. La rencontre avec les habitants pour changer de regard, mais aussi la rencontre avec les autres voyageurs. Des réfugiés de la rue d’Aubagne croisent des touristes, qui croisent des salariés, qui croisent des migrants, qui croisent des gens de passage... Peu à peu, ce grand mélange entre touristes, travailleurs, aidants et habitants a pris forme.
Les oiseaux de passage, une plateforme alternative
Hôtel du Nord trouve d’autres coopératives, plutôt proche de l’agritourisme, qui n’entrent pas non plus dans les cases des structures du tourisme et ensemble, elles ont créé une plateforme différente, avec des critères basés sur le ressenti humain : Les Oiseaux de Passage. - lien externe Pour Prosper Wanner, cofondateur des lieux, quand on passe par Hôtel du Nord, « On s’adresse à une personne, il n’y a pas d’intermédiaire. C’est aussi pour ça qu’on a créé une plateforme à nous, parce qu’on privilégie le rapport direct, qu’on refuse les critères de descriptions figés, avec des prix uniques et des cases dans lesquelles on ne rentre pas ». Pour choisir son séjour, on passe par un livre d’or, des sons, des anecdotes. Les prix sont évolutifs, selon les moyens de chacun. Ce sont des gîtes et des chambres d’hôtes, dans les collines, sur les hauteurs de Marseille, avec vue mer, jardin abrité ou cour intérieure. Ils ne sont pas des professionnels du tourisme et ne veulent pas l’être. Ce sont des habitantes et des habitants qui s’organisent collectivement pour accueillir, individuellement, des visiteurs.
Hôtel du Nord, « une communauté d'hospitalité »
La société change et avec elle, l’entreprise. Si Les oiseaux de passage et Hôtels du Nord sont des SCIC, ça n’est pas un détail, surtout dans un secteur comme le tourisme où la notion de responsabilité est centrale. Hôtel du Nord se définit comme une communauté d’hospitalité. « S’il n’y a pas de place chez l’un, il renvoie chez l’autre, raconte Prosper Wanner. Parfois, les visiteurs se répartissent entre les maisons, c’est un fonctionnement qui peut étonner, et dans lequel il n’y a pas une figure qui serait responsable pour tous ». Dans une SCIC, c’est l’horizontalité qui régit tout. Il n’y a pas une hiérarchie formelle, même si elle existe de fait. L’entreprise appartient à tous, dans une stricte égalité, sur le principe « un homme = une voix ». Un statut tout ce qu’il y a de plus banal dans l’économie sociale et solidaire (ESS) mais beaucoup plus rare dans le tourisme. Et surtout, un statut qui n’a pas été prévu par la loi. Ce qui s’est avéré compliqué en 2011, quand la coopérative a voulu proposer des balades urbaines, pour faire découvrir la ville, son patrimoine, et participer à l’économie des quartiers.
Le statut de coopérative, incompatible avec celui de structure touristique ?
Mais dès lors qu’on propose une nuitée et une balade, ça devient un forfait. Il faut donc être immatriculé pour facturer ou passer par une agence. « C’était quelque chose de lourd à l’époque : on basculait comme entreprise du tourisme alors que ça n’était pas notre activité principale » explique Prosper Wanner. « Le code du tourisme relève du code de la consommation, ajoute-t-il : le touriste achète une prestation, il a besoin de garanties pour être protégé, de personnel qualifié, d’un fond de garanti, d’assurance ». Hôtel du Nord explique son cas au ministère des Finances : il n’y a pas intermédiaire, nous sommes une coopérative, les membres sont tous solidaires. Celui-ci lui accorde le droit d’exercer avant de se rétracter devant Atout France, Opérateur national du tourisme, qui refuse, sans immatriculation.
Atout France refuse de laisser la SCIC exercer une activité de tourisme. Devant l’impasse, Hôtel du Nord fait un recours administratif pour contester l’interprétation d’Atout France. Elle se tourne cette fois vers Benoît Hamon. Nous sommes en 2013 et il est ministre délégué à l'Économie sociale et solidaire et à la Consommation ; Prosper Wanner publie une lettre ouverte. Un pied dans l’ESS et un autre dans le commerce, le ministre comprend à la fois le caractère coopératif de la SCIC, et les impératifs du secteur du tourisme. Et, après consultation de la Fédération des coopératives de consommateurs (dont dépendait Hôtel du Nord à l’époque), il pointe un texte de loi autour du service à la personne et qui donnait le droit à un regroupement de se retrouver autour d’une «société de personne». Le texte, faisant jurisprudence, confirme qu’Hôtel du Nord n’a pas besoin d’être agréé si la SCIC vend des activités proposées par ses membres.
Une jurisprudence pour repenser le tourisme ?
Forte de cette victoire, la coopérative Hôtel du Nord ne s’est pas arrêtée là. S’estimant victime de distorsion de la concurrence, elle demande au fisc de lui accorder les mêmes règles sur la TVA que celles qui s’appliquent aux agences de voyages. Retour positif, avec ou sans immatriculation. 10 ans plus tard, Hôtel du Nord vend une demi-douzaine de séjours par an, à des voyageurs de passage, à des écoles du paysage pour se former, à des groupes, qui peuvent se retrouver dans un lieu unique grâce aux Oiseaux de Passage, dont font partie de plus grosses structures. « Bien sûr, on ne peut pas vendre une sortie au Mucem mais ça n’est pas ce qu’on fait : nous voulons justement sortir de ces clichés-là et faire découvrir d’autres choses » assure Prosper Wanner, pour qui cette victoire, arrivée fin 2013 après 3 ans de bataille judiciaire, peut servir à d’autres. C’est le cas du réseau Accueil Paysan - lien externe : un même réseau, différents lieux d’accueil et une obligation d’immatriculation pour facturer quand un voyageur passe d’un lieu d’accueil à un autre. C’est aussi le cas de l’écomusée Okhra - lien externequi accueille chaque année 35 000 visiteurs dans l’ancienne usine d’ocre de Roussillon. Une jurisprudence qui pourrait s’appliquer jusque dans les Parc Naturel Régionaux, s’ils souhaitaient créer des communautés d’habitants."