Article Reporterre, rédigé par Florence Quille le 22 novembre 2022.
Confrontés aux fermetures, les habitants d'un village anglais ont repris le centre social, la bibliothèque, l'épicerie et le pub. Faisant de Trawden le seul village autogéré de Grande-Bretagne.
En 2014, Trawden a bien failli devenir une cité-dortoir comme tant d'autres dans cette région verdoyante du nord-ouest de l'Angleterre. Commerces fermés, services publics supprimés, ce village de 2 500 âmes semblait voué au déclin avec la crise du textile. La fermeture du centre social a eu l'effet d'un électrochoc. « Nous avons senti que c'était une ligne rouge. Il fallait réagir. Notre esprit communautaire n'y survivrait pas », raconte Steven Wilcock, figure locale du village qui a pris la tête de la fronde.
Les résidents de cette région ont alors racheté au Comté le vieux bâtiment pour la somme symbolique de 1 Pound et ont retroussé leurs manches. Les travaux étaient considérables tant la bâtisse était vétuste. De chantiers collectifs en journées caritatives pour lever des fonds, les habitants ont mis deux ans au total pour mener à bien l'opération.
Aujourd'hui, le centre communautaire flambant neuf accueille de multiples activités : tai chi, yoga, gymnastique, réunions scouts... Géré par une équipe de bénévoles, il est autosuffisant grâce à la location de la salle des fêtes et du bar attenant pour des réunions familiales ou des évènements festifs, comme le salon de l'artisanat ou le festival de la bière. Les bénéfices permettent de financer les activités sociales : repas de l'amitié proposé chaque quinzaine aux aînés du village et autres activités conviviales.
Dopés par cette première expérience d'autogestion, les résidents ont décidé d'ouvrir une boutique à la place de l'ancienne bibliothèque et du centre maternel, tous deux fermés depuis de nombreuses années. Mais la négociation avec les responsables du Comté de Lancashire s'est avérée plus rude que prévu. « Ils avaient des vues sur le terrain pour bâtir un lotissement de luxe et refusaient de nous le céder », déplore Steven Wilcock, dont la famille est installée ici depuis trois générations. Il a fallu deux années d'âpres pourparlers pour décrocher enfin un bail de location de 125 ans, à titre gracieux.
Malgré les prix plus élevés qu'en ville, les clients sont assidus. Les affaires marchent tellement bien que le magasin a pu embaucher un salarié pour coordonner les équipes et assurer les livraisons en van électrique.
Mais en 2021, nouveau coup dur pour le village : les propriétaires du Trawden Arms, dernier pub du village, ont annoncé leur départ à la retraite et la fermeture de l'établissement. « Voir le pub fermé avec toutes ses lumières éteintes était déjà triste. Imaginer qu'il ne rouvrirait pas était impensable », confie un habitué. Après une phase d'abattement, les habitants se sont ressaisis. Ils ont eu quatre mois pour réunir les 450 000 Livres nécessaires à l'achat. Une somme colossale.
Comme à chaque fois, les résidents ont fait appel aux bonnes volontés. Des spécialistes en communication, sites internet et business plan ont rejoint le comité de pilotage et se sont réunis chaque semaine sur Zoom. L'initiative a été relayée dans toute l'Angleterre et les fonds ont afflué. Loterie nationale, quotidien anglais local... chacun a apporté son obole. Les habitants ont aussi mis la main à la poche : 460 d'entre eux ont investi dans l'opération. Quatre jours avant l'échéance, la somme a été réunie. « C'est incroyable l'engouement qu'a suscité cette opération », s'étonne encore Steven Wilcock.
Avec un peu d'audace et beaucoup d'obstination, les habitants de Trawden ont réussi à sauver l'atmosphère particulière de leur village. Grâce à une armée de volontaires qui entretiennent les sentiers et les jardinières, font tourner boutiques et bibliothèque, animent le centre communautaire, ils cultivent un vivre ensemble précieux, fait d'engagement social et de convivialité. Le modèle fait rêver et les visiteurs viennent de tout le pays rencontrer ces pionniers de l'autogestion dans l'espoir d'appliquer les mêmes recettes chez eux. Mais l'expérience est-elle reproductible ? Sans doute. Les pubs communautaires se sont multipliés ces dernières années. On en dénombre aujourd'hui 130 dans le pays.
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