Article rédigé par Julia Lemarchand - lien externe
Publié le 19 oct. 2022
Comment pousser les universités à réellement former aux enjeux de la crise écologique ? C'était l'objet du rapport Jouzel, dont le deuxième volet a été rendu public en février dernier, après deux ans de travail.
« 6 mois après le rapport Jouzel, où en sommes-nous ? », c'est justement l'intitulé de la conférence inaugurale qui ouvrira le 20 octobre la journée de conférences et de débats organisée par le ministère de l'Enseignement supérieur à Bordeaux. Les attentes sont fortes, alors que les premiers mouvements étudiants ont débuté en 2018 (Marches pour le climat, Manifeste pour un Réveil écologique) et que les résultats tardent à se concrétiser.
Nous faisons un point d'étape avec Mathias Bernard, président de l'université Clermont Auvergne (38.000 étudiants), à la tête du comité Transition écologique et sociétale de France Universités, qui représente l'ensemble des universités françaises, de même que certains groupements d'écoles (INP, INSA…), soit plus d'1,7 million d'étudiants et 200.000 personnels.
Les Echos START : Six mois après le rapport Jouzel, les choses avancent-elles (enfin) ?
Mathias Bernard : Aujourd'hui, la moitié des universités ont un vice-président qui a un portefeuille consacré à la transition de son campus et la formation des étudiants aux enjeux écologiques. Cela représente près de 40 universités (sur les 74 en France, NDLR), dont une très grande majorité (environ 35) est dotée d'un service ou d'une équipe dédiée. Cela signifie que dans ces établissements, la transition a été identifiée comme un axe de stratégie de l'établissement prioritaire. Ces vice-présidents se sont d'ailleurs récemment mis en réseau dans une nouvelle association VP-TREES, créée début octobre. Cette dynamique est encourageante ! Il y a 5 ans, il y en avait à peine une poignée. La crise Covid a accéléré la réflexion sur le changement de paradigme. Il y a eu la COP 2 étudiantes à Grenoble en 2021, et cette année une série de cérémonies de diplômes, disons plus contestataires . Tout cela a contribué à maintenir la pression et aider au passage à l'action. Les universités s'engagent massivement en faveur de la transition écologique et sociale.
Ok, mais que s'est-il passé concrètement depuis le rapport Jouzel ?
La mesure phare du rapport Jouzel était que tous les étudiants de niveau Bac +2 soient sensibilisés aux enjeux environnementaux. D'ores et déjà, plus de 20 universités ont mis en place ce module de ce type à la rentrée 2022 qui comprend, selon les établissements, entre 15 et 30 heures de cours. Cette première étape de sensibilisation est indispensable mais non suffisante. L'enjeu, c'est de véritablement former tous nos étudiants à pouvoir engager la transition dans leurs futurs métiers.
Croyez-vous que la formation à la transition écologique pourra faire partie intégrante de tous les cursus d'ici à cinq ans, comme le recommande le rapport Jouzel ?
Oui, je crois que c'est possible. Si au départ, la pression venait surtout des étudiants, il y a désormais d'autres moteurs du changement : les employeurs et les classements qui poussent ces critères. Les entreprises veulent pouvoir recruter des étudiants formés à la transition écologique et sociale. Et ça, c'est relativement nouveau.
Beaucoup d'observateurs comme le Shift Project se montrent plus sceptiques sur l'adaptation des universités, pointant des freins administratifs et le problème récurrent des moyens…
Les freins administratifs sont devenus des alibis pour ceux qui ne veulent pas bouger. Quand le sujet est intégré au plus haut niveau de la gouvernance de l'établissement, les choses avancent ! Maintenant, c'est vrai que nous avons besoin d'une nouvelle impulsion qui vienne d'en haut pour embarquer tout le monde et accélérer. Nous avons perdu du temps après la restitution du rapport Jouzel.
Qu'attendez-vous de l'intervention de la ministre Sylvie Retailleau ce jeudi à Bordeaux ?
Ce dont nous avons besoin, c'est d'un schéma directeur avec des contrats d'objectifs et un financement pluriannuel plutôt qu'un système de financement par appel à projets, qui est chronophage pour les personnels et aléatoire. Dans les chantiers de la planification écologique, que vient de lancer le gouvernement, il faut absolument qu'il y ait un volet recherche et formation conséquent. Et, cela doit embarquer toutes les parties prenantes comme l'Agence nationale de la recherche et les organismes nationaux de recherche (Insee, Inserm, Inrae…). Enfin, l'évaluation des formations par le Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (qui garantit la qualité de l'enseignement, NDLR) doit absolument mieux intégrer les sujets de transition.
Comment motiver des profs qui ne se sentent pas concernés ou compétents pour former les étudiants ? D'abord il ne faut pas oublier qu'on n'arrivera pas à répondre à l'enjeu en se limitant à une approche purement technologique. Nous avons besoin d'une approche humaine, culturelle, sociale, philosophique… Il y a un gros enjeu d'acculturation : nous savons que les crises climatiques sont déjà là et pourtant nous avons beaucoup de mal à changer nos habitudes. Et donc toutes les disciplines doivent être embarquées. Ensuite, sur le volet RH, il faudrait pouvoir réellement prendre en compte dans les avancements de carrière les efforts des professeurs pour convertir leur cours. Aujourd'hui, c'est peu ou prou du bénévolat.
En même temps, lorsqu'on voit l'université de Strasbourg décider de fermer ses locaux cet hiver pendant 2 semaines pour faire des économies de chauffage, on se dit que les établissements parent au plus urgent… Ne craignez-vous pas que la question de la formation des étudiants soit reléguée au second plan ?
Pour moi, la transition des campus fait complètement partie du sujet. Par ailleurs, difficile d'être crédible quand la majorité des jeunes étudient dans des passoires énergétiques. C'est un sujet d'exemplarité. Nous avons accumulé un retard sur la rénovation ces 50 dernières années. Les universités représentent 18 millions de mètres carrés, un quart du patrimoine de l'Etat ! Nous avons besoin d'un plan Marshall dans le cadre d'une enquête de la Cour des comptes, que, dans le cadre d'une enquête de la Cour des comptes, nous avons récemment chiffré à 15 milliards sur 15 ans.