Article rédigé par Thomas Baïetto.
Publié le 16/10/2022.
"Les scientifiques sont ignorés"
Alors que les émissions de gaz à effet de serre, moteur du réchauffement climatique, continuent de grimper et les espèces animales, de disparaître, de plus en plus de chercheurs ne veulent plus se contenter de chroniquer, rapport après rapport, une catastrophe écologique annoncée. Regroupés sous le label "Scientist rebellion - lien externe", ils participent activement aux actions des ONG écologiques, quand ils ne les organisent pas eux-mêmes. Depuis la mi-octobre, de nouvelles actions sont organisées un peu partout dans le monde, à Toulouse, Paris et bientôt en Allemagne, pour remettre la pression à quelques semaines de la COP27 qui se tiendra en Egypte et réclamer des mesures à la hauteur de l'urgence.
Comment en est-on arrivé là ?
L'inaction des responsables politiques est la première raison avancée par la quinzaine de scientifiques que nous avons interrogés. "Je suis de plus en plus désespéré par l'aggravation des catastrophes climatiques et l'inaction des dirigeants mondiaux", lâche Peter Kalmus, le climatologue de 48 ans qui s'est enchaîné à la porte de la banque JPMorgan Chase, soutien financier des projets d'énergie fossile (charbon, pétrole, gaz).
"C'est non violent et symbolique"
Retrouver du sens et être en accord avec le message scientifique est un autre motif d'engagement. "Continuer à vivre et travailler de la même façon, cela peut donner l'impression que la situation n'est pas aussi grave qu'on le dit. C'est important d'avoir des actions en accord avec ce que l'on dit", estime Jérôme Guilet, astrophysicien, qui juge les actions de désobéissance civile "proportionnées" : "C'est non violent et symbolique par rapport à l'enjeu qu'est la survie de l'humanité."
Si ce discours est de plus en plus audible et s'il est soutenu, de l'avis de nos interlocuteurs, par une majorité silencieuse de la communauté scientifique, ceux qui s'engagent restent une minorité. La désobéissance civile, avec ses risques judiciaires, n'est pas possible pour tout le monde. "J'élève mon fils seul, à temps plein. Je ne peux pas me permettre d'être en garde à vue, il faut que je rentre lui faire à manger", explique Matthieu Latapy. Ce chercheur en informatique de 47 ans a préféré réorienter ses recherches sur l'efficacité des différents types de manifestations. Pour les plus jeunes, le choix de la rébellion se heurte à la précarité de la profession. Une chercheuse pas encore trentenaire s'interroge sur la suite après avoir participé à plusieurs manifestations : "Bien que l'envie ne manque pas, j'ai un peu peur que ça me ferme des portes. Si je veux tenter le concours du CNRS, je n'ai aucune assurance que ça ne poserait pas problème". Même installés, les plus actifs redoutent des représailles professionnelles.
"Je ne veux pas nuire au Giec"
Tout le monde ne peut pas, mais tout le monde ne veut pas non plus franchir cette ligne. "Pour l'instant, ma casquette Giec me freine un peu. Même si je ne m'engageais pas au nom du Giec, l'amalgame serait fait et je ne veux pas nuire à l'institution", confie Christophe Cassou, l'un des auteurs du dernier rapport. Le climatologue de 51 ans, très actif pour sensibiliser les élus, se demande aussi comment rester "crédible" dans ce travail avec l'étiquette "désobéissance civile" et s'interroge sur l'endroit où être "le plus efficace". "
L'illusoire neutralité scientifique
Au-delà de ces critiques, personne au sein de la communauté scientifique ne pointe du doigt la question de la neutralité, le fait qu'un chercheur ne devrait pas s'exprimer publiquement ou donner son avis. Cet argument est pourtant régulièrement avancé par les détracteurs des scientifiques que nous avons interrogés. Pour ces derniers, cette neutralité est une illusion.
Tous appellent donc à ne pas confondre la méthode scientifique, basée sur la relecture par les pairs, sur des données et un processus transparent, avec cette prétendue neutralité.
Une efficacité à démontrer
Reste une question sans réponse. La "rébellion" des scientifiques est-elle efficace ? Dans son dernier rapport (PDF, en anglais), le Giec constate que les "actions collectives" "soutiennent les changements systémiques", en donnant l'exemple des grèves de la jeunesse pour le climat. "Les scientifiques jouissent d'un certain niveau de confiance. On doit s'en servir pour appuyer des demandes de transformation forte", estime Kévin Jean, l'épidémiologiste. Pour Elodie Vercken, directrice de recherche à l'Inrae, cette implication des scientifiques permet de balayer "les préjugés envers les personnes qui s'engagent".
Sous cette bannière, des militants et des scientifiques, comme Julia Steinberger, ont commencé à bloquer périodiquement des axes routiers pour réclamer la rénovation énergétique des logements. Pour la jeune femme, "nous avons toutes les connaissances dont nous avons besoin ; le facteur limitant, c'est la volonté politique et ça ne s'obtient pas en écrivant des rapports".
Lire l'article en entier - lien externe