Publié le 6 octobre 2022, par Philippe Hamman - lien externe Professeur de sociologie, Université de Strasbourg.
Voici quelques extraits de l'article :
Lors de l’interview télévisée du 14 juillet 2022, le président Macron a annoncé un « plan de sobriété énergétique » dans lequel il s’agit de « rentrer collectivement ». Jusqu’alors étaient surtout avancées des adaptations du mix énergétique – moins d’énergies carbonées (pétrole, gaz) ou nucléaire, plus de renouvelables (éolien, photovoltaïque) –, sans remettre en cause le principe de l’abondance énergétique. Les références à la sobriété s’analysent, elles, comme des transactions de rupture : produire et consommer moins. Ceci rappelle la « sobriété heureuse - lien externe » popularisée par Pierre Rabhi, - lien externe qui évoque « le choix d’une sobriété libératrice et volontairement consentie, [afin de] remettre l’humain et la nature au cœur de nos préoccupations ».
Avancer le registre de l’exemplarité individuelle
En tant que cheminement maîtrisé – la « planification écologique » posée par le gouvernement Borne –, la transition énergétique peut se lire comme une systématisation des comportements et des actions, du niveau global à la sphère individuelle, jusqu’aux usages quotidiens : ainsi des campagnes visant à promouvoir une douche plutôt qu’un bain, pour économiser l’eau, etc. Cela conduit à réfléchir à la place des individus dans la transition. Le citoyen lui-même est de plus en plus appelé à agir, et pas seulement les jeunes.
À chacun de « faire sa part » au quotidien : ce serait une consécration de l’appel du Mouvement Colibris - lien externe. « On pompe des matériaux, le jour où il n’y aura plus ces matériaux, qu’est-ce qu’on fait ? Moi je crois beaucoup, comme dirait Pierre Rabhi, à la sobriété heureuse », relaye un coopérateur des Centrales villageoises (CV) de Saverne (entretien, 31/03/2020).
Les coopératives énergétiques produisent à partir de sources renouvelables et d’installations décentralisées. Le modèle repose sur une participation économique des membres ou actionnariat citoyen, dans l’objectif d’ouvrir le financement et le pilotage à des acteurs locaux dans un territoire. Ces initiatives sont lancées le plus souvent à l’intersection entre des citoyens engagés pour la cause écologique, des élus désireux de se positionner localement et des profils d’acteurs professionnels en rapport avec le domaine de l’énergie.
Individualisation ou gouvernementalité de la transition énergétique ?
Le 2 juillet 2022, 84 patrons français, dont ceux d’Engie, EDF et TotalEnergies, ont publié une tribune - lien externe appelant à une « sobriété d’urgence face à la flambée des prix de l’énergie » ; des associatifs investis dans la transition écologique ont alors répondu que « si chacun peut faire un geste, la part aisée de la population est la première à pouvoir et devoir agir ». Cet échange met en lumière une double dimension des processus en jeu. La première renvoie à la « gouvernementalité » comme exercice diffus du pouvoir, explicité par Michel Foucault. - lien externe Elle s’incarne dans des « écogestes » adressés au citoyen pour produire une forme d’autogouvernement. Un tel discours générique de mise en responsabilité individuelle est repris par certains coopérateurs. Selon un adhérent d’Énergies Partagées en Alsace (EPA), « la structure étatique ne peut pas avoir réponse à tout et elle a montré les limites de ses capacités. […] C’est par le comportement individuel qu’on pourra progresser vers une vie plus acceptable pour tous » (entretien, 15/05/2020).
Cette optique représente un certain déplacement du sens des communs - lien externe, au-delà de la gestion de ressources. Elle apparaît en effet connectée avec une société de l’information en « accès libre » : « Tout le monde est sur Internet, même les plus anciens. […] La source d’information est là, on ne peut pas dire qu’on ne sait pas » (entretien, coopérateur EPA, 22/05/2019).
Concrétiser la transition énergétique dans l’épaisseur du social
Or, une seconde perspective a trait à l’épaisseur du social : à la fois les rapports entre sensibilité de principe et passage à l’action effective, et les capacités d’action concrètes au quotidien, qui sont distinctives entre les groupes sociaux.
D’une part, chaque coopérateur met en avant des priorités sur tel ou tel domaine, sans vision panoptique. Cette complexité pratique ressort nettement des évocations du compteur Linky – controversé, tant en termes sanitaires que de surveillance à distance. Si l’on entend certaines dénonciations , d’autres y trouvent un appui à une consommation raisonnée. En même temps, la part de la maîtrise technique fait que l’on se sent plus ou moins habilité à s’engager dans un projet.
D’autre part, le prix des actions dans les coopératives énergétiques n’est pas neutre. En France, le modèle des Centrales Villageoises (CV) défend un prix limité en vue d’une démocratisation des renouvelables : « Il y a pas mal de CV qui font leurs parts à partir de 50 € en espérant que ça encourage pas mal de gens à mettre juste un peu d’argent symboliquement, mais qu’ils se sentent engagés » (entretien, président des CV d’Alsace centrale, 03/05/2019). Un autre modèle privilégie un prix plus élevé devant faciliter le financement de projets. Ces choix sont susceptibles d’évoluer. Le défi est double : assurer une viabilité financière aux projets sans renforcer les lignes de partage socio-économiques. Une rapide énumération de profils parmi les membres est riche de sens.
In fine, les expériences de coopératives énergétiques citoyennes font ressortir un domaine de validité des voies et des moyens du changement en train de se faire : quels types de transformation et qui y prend part ou non. C’est là une problématique fondamentalement sociale.
Lire l'article - lien externe